Pot Kommon
Un réseau de lieux qui forme à l'encadrement de chantiers participatifs
Pot Kommon est un projet de mise en réseau lancé en 2020, qui émane de plusieurs tiers-lieux de Plaine Commune (communauté d'agglomération située en Seine-Saint-Denis) : le 6b, les Poussières, la Villa Mais d’Ici et Mains d’Œuvres.
C’est dans le but de favoriser les échanges et les coopérations entre ces différents lieux et leurs acteur.ices que Pot Kommon organise des formations professionnelles à destination des acteurs·rices culturel·les et de l’ESS, une résidence artistique croisée entre les différents lieux du réseau, mais aussi des conférences, visites et rencontres. Nous avons rencontré Lucile Monnoyeur, Marion Bouchard et Nathan Levinson, qui ont mis en place des formations à l’encadrement de chantiers participatifs avec une initiation aux métiers de la charpente et de la métallerie, au 6b.
Aline et Ariane : Pouvez-vous nous raconter comment est né Pot Kommon, et plus spécifiquement la formation “chantier participatif” que vous proposez ?
Lucile, Marion et Nathan : Pot Kommon est né de la rencontre entre différents lieux - Mains d'Œuvres, les Poussières, la Villa Mais d’ici et le 6b - à partir du constat qu’on a plein de compétences, de choses à échanger et à mettre en commun, mais qu’on n'a pas forcément le temps et les moyens financiers de créer cette synergie. On a donc répondu à un appel à projet qui permet de financer ce projet Pot Kommon. Il ne s’agit pas que de modules de formation, même si c’est cet aspect qui est le mieux identifié ; ça rassemble du temps de résidence entre les résident.es de différents lieux, des conférences, des visites de lieux, des mises en commun de compétences. C’est à cela que le dispositif permet finalement de donner l'espace et le temps.
Cette année, ça va être la quatrième édition. Les lieux ont décidé, en fonction de leurs spécialités et des envies des résident.es, de proposer chacun différentes formations. Du coup il y a eu un atelier marionnettes dans l'espace public à la Villa Mais d’ici, de la sérigraphie aux Poussières, “Intelligence collective” à Mains d'Œuvres, et du chantier participatif au 6b. Cette idée de chantier participatif est née parce qu'il y a pas mal de constructeur.ices dans ce lieu. On est actif.ves dans l’aménagement des espaces que l’on occupe. Il faut savoir qu'il y a autour du 6b une friche qui a été pendant longtemps une déchetterie sauvage, un endroit de squat. Loin de nous l'idée d'évacuer les squatteurs, mais plutôt d’offrir un paysage en espace public fait selon nos valeurs d'ouverture, de partage, de culture végétale et humaine. Du coup, on a énormément de constructeur.ices qui se sont mobilisés sur ces espaces. On s'est dit qu’on avait envie de partager cette idée du chantier et de comment construire avec les gens.
On a donc commencé à monter cette formation, à se demander quelle forme elle pouvait prendre, en sachant qu'on table plutôt sur des modules très courts de trois à cinq jours, alors que le sujet “chantier participatif” est vaste. Déjà il y a deux mots : “chantier” et “participatif”, qui demandent des compétences qui ne sont pas les mêmes et dans tous les cas beaucoup d'apprentissage. Du coup, la question “à qui s'adresse cette formation ?” était importante : qu'est ce qu'on peut voir en cinq jours ? Qu'est ce qu'on a envie de transmettre sur ce sujet ? On ne va pas former des menuisier.es ou des charpentier.es, on ne va pas non plus rendre les gens aptes à encadrer des groupes de personnes sur un chantier, donc qu'est ce qu'on veut dire ? Il faudrait un master complet pour traverser le sujet de fond en comble…
On s’adresse à un public qui est plutôt dans le domaine du social, de la culture, des personnes qui veulent avoir des notions de chantier et être capables d'interagir avec des constructeur.ices professionnel.les. Dans cette formation, on ne cache pas l'idée que l’on n’apprend pas un métier en trois jours. On offre quand même des notions sur le travail du bois et le travail du métal, en formant entre autres à la sécurité sur le chantier. On insiste sur le fait que, quand on organise un chantier participatif, il faut savoir s'entourer de gens compétents, de professionnel.les, d'artisan.es qui savent apporter les bonnes réponses sur des questions structurelles, sur le choix des matériaux, le maniement des outils.
Il y a un autre type de public, constitué de personnes qui ont des compétences assez poussées en construction mais qui ont du mal à intégrer la dimension participative dans leur travail. Je pense à un régisseur de Mains d’Œuvres par exemple, qui venait plutôt apprendre à concevoir et à préparer un chantier avec des gens qui n’y connaissent rien, il se questionnait aussi sur la manière de les mobiliser…
L’année dernière on a revu le format de la formation. On s’est dit qu’on n’allait plus faire cinq jours avec à la fois des notions théoriques, des notions sur la participation et des notions sur la construction. Maintenant, on a différents modules : on a des modules qui s'intéressent à la construction (un module bois de deux jours, plus cette année un module construction terre de deux jours) et un module théorique et exercice pratique de travail en groupe de deux jours. Tu as le choix de faire un ou plusieurs modules, comme ça tu peux avoir quelque chose d’un peu complet, mais ça ne te prend que deux jours par mois. Pour la charpenterie, on va quand même retenter un format de cinq jours en plus des trois modules, un peu intensif, pour aller plus loin.
Sur la partie dite théorique, il y avait aussi des notions pratiques de l’ordre de la méthodologie, du conseil, des exercices de synergie de groupe. Avec les modules bois et métal, l’idée est de développer les questions de sécurité autour de l'emploi des outils, le fait d’être un groupe, de protéger les autres, d'adapter le chantier en fonction des corps. Jusque là, on faisait des petites choses dans ces modules, des objets. L'année dernière, on a décidé de faire un ouvrage pour le 6b, avec la volonté de construire quelque chose pour la collectivité, et ça a plutôt bien marché. On a fait ça en deux jours - ou plutôt quatre jours en tout, pour préparer, organiser, puis finir le geste après coup. Cette année, on a visé un peu plus grand : on va construire la charpente d’un bâtiment. Ça émane d’une demande du 6b et d’un public d’apprenant.
On aime bien mettre l'accent sur le fait qu’on peut arriver à des choses pointues en artisanat. L’idée pour le bois, par exemple, ça n’est pas d’apprendre simplement à envoyer de la vis et à faire des petits trucs ; c’est plutôt de se demander comment on peut faire un projet d'envergure et comprendre un peu comment ça fonctionne. Même si ce sont des choses qu'on vulgarise, on va parler de statique, d'assemblage, de levage de matière, de conception, de comment dessiner quelque chose. On est pro dans ce qu'on transmet et on considère que, même si tu es débutant.e, tu dois avoir accès à des techniques que tu retrouves en entreprise
C'est aussi parce qu'on a des formations professionnelles et qu'on exerce ces professions qu'on est capable de les transmettre : Nathan transmet la charpente parce qu’il est charpentier. Marion est architecte et devient charpentière, elle a l’expérience du collectif, de monter des lieux et de les mettre à disposition.
Qu’est-ce qui s’est construit pendant ces chantiers-formations au 6b ?
Il y a trois ans, on a construit ce qu'on appelle le 6b Village : on a fait une extension du 6b avec des containers et des matériaux de réemploi, ça été fait avec des entreprises. Un boulanger s'y est installé. Il nous a dit qu’il aimerait bien une petite aubette pour protéger son four à bois, accueillir les gens, préparer ses livraisons au sec. On s’est dit qu’on pouvait le faire dans le cadre de Pot Kommon ! On a organisé un chantier bois avec une dizaine de personnes l’année dernière, ça a bien marché.
Ça fait trois ans qu’on veut faire une halle couverte . C’est un espace qui manque au 6b, on n'a pas d'espace pour construire, pour bien stocker, et on encombre les espaces intérieurs.
Quelle est la proportion de participant.es à la formation qui sont internes au 6b ?
Il y a eu à plusieurs reprises des salarié.es, pas forcément du 6b, mais de Mains d’Œuvres par exemple. Ça permet aux lieux de former leurs salarié.es à ce type de pratique. Pour l’aubette, il y avait juste Lucas, qui est en alternance à l'administration. Il était curieux de la culture du chantier participatif, de comment on organise ça dans nos métiers, alors qu’il vient de l'administration culturelle. C'est intéressant pour la synergie du 6b, il se crée une rencontre autour du ‘faire’ entre une personne salariée de l’association, qui est majoritairement dans les bureaux, et les résident.es, qui participent quotidiennement et spontanément à la construction du lieu.
A plusieurs reprises, il y a eu des gens qui venaient de l'urbanisme ou de l’architecture et qui voulaient passer à l'action. Il y a aussi eu des gens de l'École Zéro, qui ont l'habitude d'organiser des chantiers avec 70 participant.es. Pour eux, c'était plutôt une curiosité de savoir s’ils.elles mettent en place des bons outils, s’il y en a d'autres, avoir un regard critique sur ce qu'ils.elles font, mais aussi mettre en commun un savoir pour pouvoir organiser le prochain grand chantier de l'École Zéro. C’était lié à une envie personnelle d'approfondir certaines choses ou de permettre une petite prise de recul, et leur posture nous a également beaucoup apporté.
C’est souvent le cas en fait : c'est une formation qui n'est pas ascendante dans la manière de transmettre et il y a souvent des moments d'échange entre professionnel.les. Il y a le sujet des indicateurs qui revient souvent, de comment tu valorises l'action participative dans un chantier auprès des financeurs. Ça a souvent fini en table ronde. Ces pratiques sont malgré tout naissantes, et même si on est nombreux.ses à faire du chantier participatif il y a toujours des questions : comment s'adapter ? Comment convaincre les gens ? Ce qu’on aimerait beaucoup, c'est qu'il y ait justement des financeurs ou des collectivités qui viennent participer à cette formation pour intégrer ces notions dans la rédaction d’une commande. On trouverait ça vraiment intéressant qu'on vienne un peu orienter les commanditaires sur leur manière de faire. Parce que souvent ils et elles ont ces envies, ces interrogations, puis quand on lit le cahier des charges, on note un décalage au regard des budgets proposés, des exigences assurantielles, juridiques, etc… D’ailleurs, Est Ensemble (communauté d'agglomération) commence à nous appeler pour faire des formations en interne, auprès de ses salarié.es. La prochaine porte plutôt sur la menuiserie et le réemploi que sur le volet participatif… Mais il y a certaines agglos qui commencent à avoir envie de former leurs équipes pour comprendre un peu mieux ce qui s'y joue…
Et comment fonctionne Pot Kommon ?
Il y a une coordination Pot Kommon, portée par Mains d'Œuvres, qui recense les propositions des résident.es pour chacun des 4 lieux. En fait, tout ce qui est communication, inscriptions, financement, c'est la coordination Pot Kommon qui le gère, qui est tenue par Mains d'Œuvres. On a la certification Qualiopi, qui permet de faire financer les formations par les OPCO, les organismes de formation professionnelle, avec le fonds de financement Pôle Emploi. Officiellement la formation cible des professionnel.les, ou en tout cas des personnes qui ont accès à des droits de formation, parce qu’elle est payante [250€ par jour et par personne], mais on trouve toujours des solutions pour donner accès aux voisin.es, aux ami.es et à toustes ceux et celles qui n’ont pas les moyens. Il y a entre 8 et 12 personnes maximum par formation.
C'est donc un gros chantier administratif qui a été mené et c'est assez fragile. On doit faire pas mal de paperasse en réalité, avec auto-évaluation à la fin, pour pouvoir préserver ce label Qualiopi qui nous permet recevoir des gens dont les formations sont financées. Il y a une personne salariée de Mains d'Oeuvre qui coordonne l'ensemble.
C’est bien la synergie Pot Kommon qui a permis de s'atteler à ce chantier. L’objet du label Qualiopi est rédigé pour pouvoir intégrer une grande diversité de formations. Ça permet donc à n'importe quel.le résident.e de tous ces lieux de proposer un module.
Sur les objectifs d’évolution de la formation - tu parlais de former potentiellement des élu.es - vous n’avez pas forcément vocation à mettre en place une formation plus longue, par exemple auprès d'artisan.es ?
On avance année par année… Mais on a pas vocation à faire une formation longue, nous ne sommes pas une école, on n'est pas équipé.es pour, nos outils restent sommaires. On a chacun.e notre activité professionnelle. C’est par plaisir que nous formons dans ce cadre, partageons notre savoir-faire et faisons découvrir notre lieu. On aborde le chantier participatif à plein d’endroits dans nos pratiques mais on n’estime pas être des pointures en mesure de mettre en place une formation d'un an sur ce sujet. Il y a des gens qui travaillent le sujet de manière plus approfondie…
Pour nous, c'est un prétexte au sein du 6b pour impulser une dynamique collective et faire du bien au collectif : on ramène des gens de l'extérieur, notre dada c'est de transmettre. On est passionné.es par ce qu'on fait. Ça met des gros coups de fouet sur certains sujets, comme l’aubette pour le boulanger. C’est un bel objet, ça fait venir les habitant.es du quartier, ça fait du bien à tout le monde et ça n'est pas seulement à la charge du 6b. Ça impulse un truc et c'est assez rassurant pour nous de trouver des financements, de pouvoir ramener des gens de l'extérieur, parler du lieu, de nos pratiques. Ça crée une petite aventure.
Ça nous tient à cœur que n'importe qui dans le quartier puisse participer. On a eu le cas de jeunes ou de personnes sans-papiers qui venaient à des journées de chantier participatif. On transmet des techniques d’artisanat à des gens qui n’y ont pas forcément accès, ça peut faire naître des envies, des vocations, ou même simplement permettre une valorisation de soi. Cette formation est aussi accessible à plus de monde parce qu’elle est courte, tu ne te lances pas dans une carrière de charpentier mais ça permet de créer une rencontre avec le métier.
Il préexistait à Pot Kommon cette volonté de faire ensemble, de faire avec. Mais il n’y a pas que Pot Kommon qui donne des prétextes à la rencontre, à la transmission. On a mené différents ateliers avec des centres d'accueil de loisirs, donc des tout-petits, autour de la façade en bardage du 6b Village. Pour l'été culturel, on était avec des publics en situation de handicap mental… On a eu des lycéennes aussi, dont une qui était censée passer son bac et qui finalement a voulu intégrer une formation pro en menuiserie. Elle a trouvé une voie professionnelle.
Avec Pot Kommon, on fait aussi attention à ce qui se passe du côté programmation artistique et culturelle du 6b, parce que, quand on accueille dix personnes en chantier et qu’on utilise des outils, il faut savoir ce qui se passe là où on est. On va partager le calendrier de chantier avec la régie bâtiment et l’action culturelle, parce qu'il y a tout un programme à l'année. Il faut voir comment ça se tuile ou si ça peut être complémentaire d'autres actions, et voir du coup comment Pot Kommon peut raconter une histoire avec le programme de l'année. Ça ne marche pas toujours mais on essaye tout le temps de connecter le chantier à la vie du lieu.
Comme vous organisez aussi des chantiers participatifs en dehors du cadre de la formation, et que là vous allez en organiser un dans le cadre de la formation, quelles différences il y a entre ces deux chantiers ? J’imagine qu’il va y avoir des nuances dans la façon dont vous allez préparer le déroulé de la semaine.
Selon les publics qu’on reçoit dans le cadre d'une journée en chantier participatif, on va s'attacher à un protocole qui va être adapté au public. Par exemple, pour un panneau qu’on a fait avec des enfants de 6 à 12 ans : on pré-mâche le travail, on pré-conçoit, on pré-découpe, on fait des gabarits pour que tout soit là, à disposition. Pendant la formation, on accompagne les gens depuis le processus de conception, ou, s’il y a déjà des éléments préconçus, on va quand même leur transmettre le processus, voir ensemble pourquoi on conçoit de telle manière, comment on prépare le chantier. On forme à toute la théorie qui va avec le montage de projet, ce qu’on ne fait pas pour de l'accueil ponctuel sur un chantier participatif.
Donc ça veut dire que ces cinq jours de chantier sont accompagnés de temps de théorie, d'analyse de la pratique ?
Il y a toujours un aller-retour : qu'est-ce qu'on est en train de faire, qu'est-ce qu'on va faire ? On n’utilise pas ce format de formation au chantier participatif pour produire à tout prix. En fait, même là, on est en train d'anticiper : on a cinq fermes à produire mais peut-être qu’on va en faire nous-mêmes une, deux, voire trois en amont. Histoire qu’on ait déjà vu toutes les étapes de construction. Il n’y a pas de pression, et dans tous les cas on finira le geste par nous-même. On ne va pas tout faire en chantier participatif. Mais, sur certaines étapes, d’autres personnes vont se greffer, de l’équipe régie et d’Engrenage (qui sont jardinier.es, organisent des fêtes et veulent apprendre à faire des assemblages). On se connaît, donc ça va être du chantier collectif plus que participatif, mais avec de la transmission. On va peut-être réussir à avoir des petits temps sympas autour de cette halle, où soit des gens du 6b soit des gens extérieurs viendront prêter main forte.
Les enjeux sont d'abord pédagogiques mais, quitte à construire une ferme, autant qu'elle serve à quelque chose.