Une perm à Billom

La permanence de Rural Combo pour fédérer autour d'un ancien collège à réhabiliter

L’association Rural Combo occupe l'ancien collège de Billom, dans le Puy-de-Dôme, afin d’initier la création d’un commun. L’association de constructeur·ices et d’architectes a conclu avec la ville une convention d'occupation temporaire et une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage de 3 ans. Le chantier de réhabilitation a commencé tout doucement en 2019, les lieux n’ont été occupés que progressivement : une base de vie a été installée au rez-de-chaussée de cet immense bâtiment (7 000 m2) qui était vide depuis 25 ans. Le but est d’ouvrir l'espace et de commencer à le faire vivre pour structurer une gouvernance collective avec les usager·es et réfléchir en acte à la programmation. Le collectif qui accompagne ce début de projet espère que le lieu sera autoréhabilité par ses usager·es, et que celles.ceux-ci arriveront à pérenniser l’initiative. Rural Combo travaille sur une constellation de projets dans les communes de Pérignat-ès-Allier et de Billom sous la forme d’une « permanence de territoire ». Au printemps 2021, nous avons rencontré Paul Chantereau, architecte constructeur et membre du collectif Rural Combo.

Perrine : Peux-tu m’expliquer quel est le positionnement de Rural Combo sur les projets que vous menez à Billom et Pérignat ?
Paul : On est un groupe de personnes intéressées par des manières de faire le territoire autrement, en impliquant les habitants, en utilisant des matériaux locaux, en construisant un récit commun qui développe des imaginaires et qui crée des avenirs désirables sur le territoire sur lequel on habite et travaille. On a décidé de travailler de front sur plusieurs sujets, en partenariat avec les collectivités, en considérant que la complémentarité de ces approches nous permet de réfléchir à ce qu’est le bourg rural aujourd’hui, et à ce qu’il sera demain.
Les gens ici savent tout faire, alors on s’est demandé : à quoi on sert ? Mais les forces en présence sont coincées dans des méthodes de travail qui sont, de notre point de vue, un peu à l’ancienne. Ce qu’on peut apporter ce sont de nouvelles méthodes, qui ouvrent de nouvelles perspectives. Il y a des dynamiques de dingue mais parfois les gens ont du mal à se parler, à faire des choses ensemble, et nous on peut leur apporter des outils.

Comment Rural Combo envisage la réhabilitation de l’ancien collège de Billom ?
Ici on est en train de créer des communs un peu géants, sur un potentiel de 7 000 m2. Il y a tout un travail qui est de donner aux usagers des outils d’autogestion, notamment pour l’aménagement et l’entretien du bâtiment. On aimerait bien que les usagers soient les acteurs de la rénovation des lieux. Dans la tête des gens ça signifie un manque d’argent pour payer des entreprises, mais pour nous c’est aussi une question de bon sens : si tu veux t’impliquer dans un lieu, la meilleure manière de le faire c’est de mettre toi-même le coup de peinture. Bon, là on est au-delà du simple coup de peinture, il faut tout gratter, peut-être isoler, il y a un paquet d'aménagements à faire. Nous on va être force de proposition pour motiver les gens et les outiller pour qu’ils soient en mesure de le faire.
Sur les questions d’isolation ça nous plairait beaucoup de le faire en terre-paille par exemple. A l’Écopôle du Val d’Allier, on a commencé à former la régie de territoire [une association d’insertion par le travail, qui n’a pas de volet construction pour le moment] à la construction terre-paille sur un petit chantier démonstrateur. Le but, c’est de les faire monter en compétences sur ces sujets – parce qu’on n’a pas vocation à se substituer à des artisans locaux – et, en faisant ça, convaincre les maîtrises d’ouvrage publiques, structurer des filières, mettre en lien les gens pour qu’ils sachent où trouver l’argile, la paille, etc. On aimerait que la régie devienne un usager permanent de la Perm’. Tout ça peut faire que ce soient eux qui deviennent formateurs des autres usagers pour qu’ils puissent faire l’isolation de leur propre espace par exemple. Ça me ferait trop plaisir que des travailleurs en insertion deviennent formateurs d’autres personnes, ça valorise leur travail et leur personne, ça tisse un lien social dans ce lieu de la Perm’ – ce qui est quand même une des ambitions premières.
Notre but, c’est qu’à terme on puisse se retirer de tout ça. Mais va-t-on y arriver, et à quel moment ? C’est plein d’incertitudes. Ce qui est cool, c’est que tout le monde est partant pour avancer avec nous vers l’inconnu, vers l’inconnu et au-delà.

Quel est votre statut dans ce projet au juste et, au-delà des enjeux techniques liés à la réhabilitation, comment envisagez-vous votre mission ?
On a une mission d’AMO [assistance à la maîtrise d’ouvrage] de 3 ans. On est dans une démarche de permanence, donc de programmation ouverte. C’est la méthode qu’on apporte à la mairie, qui en fait était très ouverte à ce genre de dynamique, mais n'avait pas les mots ou pas les compétences pour le faire. La mairie prend en charge les travaux de gros œuvre : toiture, fenêtres, portes et issues de secours, déploiement des réseaux d‘eau et d’électricité à l’intérieur. Tout le reste – rénovation, charges, gestion – doit pouvoir être pris en charge par les usagers.
Aujourd’hui, c’est Rural Combo qui a une convention avec la commune pour occuper les lieux, on fait des conventions tripartites avec chaque porteur de projet. On est en train d’accompagner la création d’une association qui permette de fédérer ces usagers. On les structure par commissions thématiques [il y a quatre groupes de travail, nommés « classes » : programmation, communication, économie, conciergerie (entretien et aménagement)], on les accompagne dans la gestion des réunions et des sujets, on leur donne toutes les données et connaissances du lieu accumulées. On est en train de transmettre pour faire en sorte qu'ils soient petit à petit en mesure de prendre eux-mêmes des décisions. Cette association qu’on est en train de créer a une durée de vie limitée d’un an afin que ses membres aient une sorte de deadline avant laquelle ils devront avoir imaginé la structure suivante, ou décidé de faire perdurer celle-là s’ils le souhaitent. A la suite de ça, quand cette structure sera un peu consolidée, il faudra repenser le cadre d’occupation de ce bâtiment. Aujourd’hui on a un bail d’occupation temporaire, mais ça pourrait prendre la forme d’un bail emphytéotique [entre 18 et 99 ans], ce qui permettrait notamment de protéger les usagers du lieu d’un changement de municipalité. On préférerait que ce soit l’association usagère qui négocie son contrat avec la mairie. Peut-être qu’on sera là comme intermédiaires ou médiateurs pour que les choses se passent bien, mais l’idée c’est qu’on se retire, qu’on passe de temps en temps et qu’on se mette sur d’autres projets.
On ne se positionne pas dans la dynamique des tiers-lieux, qu’on voit comme un terme hyper métropolitain [dans le sens de grande ville], mais plutôt dans la continuité de ce qui existe dans le monde rural, les communs, les biens sectionnaux, ces statuts un peu bâtards qui sont ni de la propriété privée ni de la propriété publique, mais de la gestion partagée entre personnes dans un cadre d’autogestion dont les règles sont définies par ceux qui le font. On considère les espaces de l’ancien collège comme des communs, et on veut donner aux gens les outils pour pouvoir gérer ça convenablement. Il y a des valeurs qui sont dans une charte qui est en train d’être rédigée avec les usagers, par exemple rester ouverts sur la ville et à tous les publics, pour éviter l’écueil de s’enfermer dans un entre-soi un peu facile.
Aujourd’hui, on est encore dans un projet un peu alternatif mais je ne donne pas plus de dix ans pour que ça devienne la méthode classique pour rénover des bâtiments, parce qu’aujourd’hui il y a un besoin de lien social très fort et des contraintes économiques qu’on ne sait plus gérer, et encore moins les collectivités. On est encore en train de défricher mais il y a déjà des expériences sur lesquelles on peut s’appuyer. Sophie Ricard [qui a notamment fait des permanences architecturales à l'Hôtel Pasteur à Rennes et dans un quartier d’habitat social à Boulogne-sur-Mer] fait partie de La Preuve Par 7, c’est une interlocutrice de luxe en termes de soutien technique et opérationnel. On ne part pas dans un flou total, mais il y a des contraintes ici qui ne sont pas du tout les mêmes qu’à l'Hôtel Pasteur. L'Hôtel Pasteur tourne sur des fonds publics de la mairie, ici ce n’est pas possible et il faut qu’on trouve un modèle économique complet. C’est bien, il y a de nouveaux défis.

Le projet de la Perm’ de Billom est aussi soutenu par La Preuve par 7, comment cela vous aide-t-il ?
Effectivement, comme le ministère de la Culture et le ministère de la Cohésion des territoires sont partenaires de La Preuve Par 7, l’idée c’est qu’ils puissent envoyer des missives aux opérateurs décentralisés – comme la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) ou la cohésion des territoires à l’échelle régionale, les monuments historiques – pour nous permettre de pouvoir déroger à des règles ou à des normes, à condition de respecter le bon sens bien entendu. Il y a parfois des postures très figées dans les monuments historiques par exemple, et nous on a une autre posture : ce n'est pas qu’on ne respecte pas le patrimoine, c’est qu’on a envie de le faire vivre. La Preuve Par 7 peut nous permettre de fluidifier des échanges, d’arriver d’en bas avec une porte entrouverte, ça donne du crédit à nos projets et ça peut décoincer notre démarche. On n’a pas encore eu besoin d’utiliser la carte « appel à un ami de La Preuve Par 7 », mais ça va arriver dans l’année qui vient je pense.
En parallèle, La Preuve Par 7 est en train de monter un centre de ressources qui permet de mutualiser des expériences et des documents, notamment des types de conventions, des types de dossiers de mise aux normes ERP. Réussir à créer une culture commune sur ce genre de sujets, et réussir à la partager pour qu’elle facilite d’autres démarches, c’est le principal intérêt que je vois à La Preuve Par 7.

Quelles différences vois-tu, dans la manière de mener ce genre de projets, entre ce contexte rural et le contexte urbain où vous étiez avant ?
Une grosse différence c’est l’échelle des territoires, ou plutôt le nombre d’habitants. Le rapport aux élus et aux partenaires est beaucoup plus simple, fluide et humain. L’autre, c’est que la pression foncière n’est pas énorme. Il n’y a pas les mêmes vagues de gentrification qui détruisent la Seine-Saint-Denis, et contre lesquelles on ne peut rien faire du tout.

Comment est envisagé l’investissement en temps des usagers dans ce projet de commun ?
On a un vrai sujet depuis qu’on habite là, c’est la question de la valeur au sens large. On se rend compte que notre société ne considère que la valeur marchande, alors qu’en fait les autres valeurs ont presque plus d’importance, et notamment la valeur temps et la valeur sociale, qu’aujourd’hui on ne sait pas valoriser. Comme on ne compte pas des choses qui ont vraiment de la valeur pour nous, espèce humaine, on est en train de partir en vrille. On s’impose à nous-même ces questions, et on se rend compte des bienfaits que ça a sur nous, donc on essaie de le proposer à d’autres gens. Ici à la Perm’, on essaie de faire en sorte que le temps soit pris en compte dans le modèle économique. Que contribuer en temps à la vie du lieu soit une valeur considérée : si tu veux avoir un espace ici, il va y avoir un loyer, une contribution financière, parce qu’il y a des charges à payer – mais d’autres choses peuvent être compensées par du temps. On aimerait imposer la valeur temps comme une forme de loyer. Pour l’instant on le partage avec les usagers avec qui on en parle, on va voir de quelle manière on le met en place.
Les outils existent, c’est juste qu’on ne les utilise pas. C’est vraiment un truc terre à terre : comment dans un tableau Excel tu arrives à repenser la société ? Vous avez déjà vu un tableau financier d’association ? En fait les lignes d’en dessous, qu’on n’utilise pas, c’est toutes les lignes qui ne correspondent pas à des transactions financières, et c’est là que tu peux mettre qui a fait des heures de bénévolat, qui a rendu un service gratuit, etc. On utilise un tableau qu’un comptable sait lire en y intégrant des données qui normalement ne sont pas comptabilisées : la valeur temps, la valeur d’échange de savoir-faire, la partie non financière des budgets. On joue avec les outils de la société actuelle en proposant des alternatives qu’on veut crédibles. Ça a déjà été fait, à l’Hôtel Pasteur ils se sont aussi posé la question de l’économie contributive.
Des études sur la rénovation du bâtiment, payées par le Grand Clermont, ont été faites par un bureau d’études. Ça coûterait 25 millions d’euros au moins pour rénover le bâtiment et y intégrer des usages – bureaux, médiathèque, logements… Personne n’aura les 25 millions d’euros, mais il y a des choses qu’on peut faire autrement. Gratter les murs, si c’est l’usager qui le fait, c’est de la valeur temps et ça aura presque pas coûté. Il y a plein de choses que tu peux faire dans un bâtiment comme ça, parce que ça se fait ensemble, un peu à la débrouille – mais si tu fais cette procédure sans avoir compté le temps d’implication, t’auras falsifié complètement le résultat. Ça me rappelle les idées que les gens ont sur le réemploi. Tu ne fais pas d'économies quand tu fais du réemploi, par contre tu crées une autre économie. A enveloppe budgétaire équivalente, au lieu de mettre 75% dans les matériaux et 25% dans la main d’œuvre, tu fais l’inverse. C’est plus intéressant de payer de l’emploi local, valorisant et non délocalisable par essence.
Louise, qui fait de la gestion administrative pour des structures, accompagne les usagers sur la structuration de la gouvernance et la construction d’un modèle économique. Elle gère la « classe » d’économie, des usagers viennent pendant 2 heures pour commencer à parler de ce genre de sujets, d’économie contributive, ou de comment on doit construire le budget de la Perm’. Il y a un vrai travail d’éducation populaire sur ces sujets, de la même manière qu’on essaie de transmettre les outils de l’architecte.

Comment se sont déroulés les premiers chantiers, la cuisine, la pièce commune, les sanitaires ?
Pour l’instant, les chantiers n’ont pas été faits en participatif. Mais aujourd’hui on est en train de lancer la classe conciergerie, dont le rôle sera de faire des travaux d’entretien et d’aménagement. On est en train de transmettre des outils aux gens pour qu’ils aient connaissance de ce qu’on peut faire, de ce qu'on ne peut pas faire, de comment identifier des besoins partagés – outils qu’ils ont tout le loisir de remettre en question. Si ce n’est pas nous qui faisons les prochains chantiers, c’est gagné. Et je pense que ça va arriver. On essaie d'impulser la mise en place d’un grand événement annuel ici, la « rentrée des classes ». C’est aussi un prétexte pour organiser des choses tous ensemble, pour que des gens proposent, pour qu’une équipe se motive à construire une scène par exemple, et qu’en fait ça reste. Puis d’année en année, continuer à faire des améliorations sur le lieu, avec le prétexte d’un gros événement.