Bordanova

Une école ÊTRE dans un tiers-lieu en cours de réhabilitation

Nous avons échangé avec Antoine Kauffeisen, chargé de la gestion du tiers-lieu rural Bordanova que porte l’association 3PA. Bordanova est un immense bâtiment de 3000 m2 situé à Lahage, à 45 km de Toulouse, et qui accueille depuis 2017 une quinzaines de structures (brasserie, conserverie, brocante et d’autres encore) ainsi qu’un chantier d’insertion et de la formation. L’association 3PA existait déjà depuis de nombreuses années mais son installation dans ce lieu en 2017 lui a donné une autre ampleur : elle est devenue la première École de la Transition Écologique, ÊTRE, désormais réseau national.

Perrine : Antoine, peux-tu nous présenter Bordanova, 3PA et l'École de la Transition Écologique ?
Antoine : L'association 3PA - Maison de la Terre existe depuis 20 ans (2004), elle a toujours travaillé sur la sensibilisation et l'éducation à l’environnement, avant que le tiers-lieu existe. 3PA a toujours d’autres projets qui participent au territoire : la maison de la terre notamment, qui est un café associatif culturel de proximité qui existe maintenant depuis une douzaine d'années à Poucharramet, le village d’à côté.
L'École de la Transition Écologique, créée en 2017, vise un public de jeunes de 16 à 25 ans (voire 30 ans s'ils et elles sont en situation handicap) qui sont en dehors des circuits de formation habituels, ni en emploi ni en stage, déscolarisé.es ou démotivé.es. Le but de l’école est de leur apprendre des métiers manuels de la transition écologique, dont l’éco-construction fait bien sûr partie.
Quand on a créé l'école, l'endroit où on était à Poucharramet devenait trop petit. On a cherché un nouveau lieu et on est tombés sur une friche : un ancien CAT, centre d'aide par le travail. Un très grand bâtiment de 3000 m2, construit dans les années 70, en pleine campagne, qui abritait 60 personnes en situation de handicap qui vivaient et travaillaient sur place. Le bâtiment est composé d’une soixantaine de chambres, des appartements, des ateliers, le tout sur un terrain de plus d'une dizaine d'hectares. Il a été abandonné en 2004 suite au changement des normes d'accessibilité. On est arrivés dans ce lieu en 2017, 14 ans après, donc le bâtiment n’était plus fonctionnel, il n’y avait plus d'électricité, plus d'eau, plus de chauffage. La structure était encore en bon état mais c’était l'exemple parfait de la passoire thermique, en béton avec zéro isolation. Quand on est arrivés dans ce lieu, on n'en occupait donc qu'une petite partie.

De mon côté, je suis arrivé avec un projet de création de tiers-lieu en milieu rural au moment où 3PA emménageait dans le bâtiment : il y a eu concomitance de projets. Je suis donc devenu la personne en charge de gérer et développer le lieu en tant que tiers-lieu. Un certain nombre d'activités se sont ajoutées et une quinzaine de structures se sont installées : par exemple une brasserie, une conserverie de légumes, une activité de vide-maison et brocante, bientôt une activité de boulangerie et d’autres encore. Aujourd'hui, on occupe l’intégralité du lieu et on va entamer une grosse rénovation thermique. On en a la maîtrise foncière pendant encore 23 ans, par le biais d'un bail emphytéotique [l’emphythéose est une cession d’une partie des droits de propriété, l’usus et le fructus, pour une durée de 18 à 99 ans, voir le chapitre 4 du livre Pour une architecture des communs].
A ces activités, on a associé des activités de formation avec l’école ÊTRE, mais aussi un chantier d'insertion par l'activité économique, FAIRE, qui occupe une douzaine de salarié.es en insertion depuis 2020. On travaille sur la rénovation du bâtiment, sur de la construction bois et sur de la cuisine. Il y a aussi le projet ÉVEIL, de la sensibilisation et l'éducation à l'environnement à destination d'un public plutôt scolaire et périscolaire via des animations en établissement ou que les établissements viennent faire chez nous.

Tu disais que 3PA était initialement une association qui faisait surtout de la sensibilisation à des questions environnementales… Comment ce projet a-t-il abouti à la création des Écoles de la Transition Écologique ?
L'activité principale au moment de la création de 3PA était la sensibilisation et l’éducation à l'environnement. Elle a ensuite développé un projet de sensibilisation vis-à-vis d'un public éloigné de l'environnement, au départ le public des quartiers politiques de la ville de Toulouse. Quand les premières actions de sensibilisation ont eu lieu dans des quartiers de Toulouse, 2 constats ont émergé. D’une part, il y a un peu eu un choc des cultures, les gens étaient intéressés mais pas suffisamment par rapport à leurs problèmes quotidiens. On a donc cherché à concilier la fin du monde et la fin du mois. D’autre part, il y a chaque année en France à peu près 70 000 à 80 000 jeunes qui sortent du système scolaire et qui se retrouvent hors des radars, ni en formation, ni en stage, ni en emploi. Les écoles ont cherché à répondre à ces problèmes-là.
Au fur et à mesure des expérimentations qui se sont étalées de 2009 à 2017, assez longtemps donc, il y a eu une formalisation qui a donné lieu à la création de l’École de la Transition Écologique en 2017. On pourrait dire que c'est l'école pilote. Ensuite, comme il y a eu beaucoup de demandes externes pour créer des écoles similaires, un programme d'essaimage a été mis en place et une autre association a été créée : le Réseau des Écoles, qui organise, anime et incube les écoles actuelles et les futures écoles. Le programme dure 9 mois et incube tous les ans une dizaine de projets. Aujourd’hui, 20 écoles sont ouvertes et 10 vont ouvrir cette année, en 2024. Un nouveau programme d’incubation devrait commencer dès l’automne avec les 10 prochains candidats.
L'association Réseau des Écoles de la Transition Écologique est située ici à Lahage, à Paris et à Marseille. Il y a une équipe d'à peu près 8 salarié.es en charge de l’animation du réseau, de l’accompagnement des porteurs de projets, de l’incubation, des recherches de financement, etc.

L'année dernière, on a formé plus de 700 jeunes sur tout le territoire; l'objectif est d'en former 1500 en 2026 et 1800 en 2027. Donc l'impact commence à être non négligeable, ce réseau d'écoles se diffuse et se solidifie. L’impact des écoles concerne plusieurs sujets : les métiers manuels, la transition écologique, le fait de permettre à des élèves revenu.es d'un système qui ne leur convenait pas de trouver un cadre dans lequel ils et elles se sentent bien.

Peux-tu nous expliquer comment l’école est financée et quelle est l’articulation entre chaque école et l’échelle nationale ?
Chaque école est indépendante mais a une charte, une pédagogie, un certain nombre de règles… C'est un peu comme une franchise sociale pour avoir le “label” École de la transition écologique.
Les écoles sont gratuites pour les élèves et, dans le cas de Lahage, on est organisme de formation professionnelle, donc les élèves peuvent être rémunéré.es selon leur situation dans le cadre des formations professionnelles. Les financements des écoles se font différemment selon les régions. Pour la région Occitanie, c'est principalement la région qui finance via un budget dédié aux écoles de la transition écologique. La région a décidé d'installer une école dans chaque département d’Occitanie et finance les premières années des écoles. La recherche de financement est donc relativement simplifiée. Pour les écoles qui sont dans d’autres régions, c’est un peu comme on faisait au début de l'école ici : on va chercher des financements à droite, à gauche, dans les régions, dans les collectivités, dans des fondations, etc. Au fur et à mesure, on essaie de consolider le modèle pour aboutir dans l'idéal à une convention, selon le même système qu'en Occitanie.

Il me semble qu’il y a des modules de formation très courts et d'autres un peu plus longs… Quels sont les différents formats proposés ?
Oui, on a trois types de dispositifs. Il y a d’abord un dispositif qui s'appelle la remobilisation : c’est un premier dispositif de défrichage professionnel, qui dure de une à deux semaines et qui vise à motiver et à comprendre l'intérêt que peuvent avoir les métiers manuels de la transition écologique. C'est la première phase, qui a lieu plusieurs fois par an - en 2024 ça a eu lieu huit fois il me semble. Cette année, on propose aussi ce dispositif à Toulouse, dans les quartiers.
Ensuite, on a un dispositif qu'on appelle pré-qualification. Il dure trois à quatre mois selon les écoles et a lieu entre deux et quatre fois par an. C’est un dispositif où on approfondit la connaissance des différents métiers de la transition écologique ainsi que son projet professionnel et personnel. Chez nous, la préqualification est assez variée. On a évidemment les métiers du bois, mais aussi le maraîchage, l’écoconstruction, l'énergie alternative et les espaces verts.
Il existe enfin un troisième type de formation : une formation qualifiante en dix mois. A Lahage, c’est une formation en menuiserie et agencement intérieur avec option bois recyclé. C'est un diplôme national, un titre pro équivalent à un CAP, sauf que ça dépend du ministère du Travail.
Dans les autres écoles, les deux premiers types de formation sont les mêmes, remobilisation et pré-qualification, avec peut-être des focus sur des métiers plus présents dans les territoires où sont implantées les écoles. Par exemple, dans les Deux-Sèvres, on a une école dans un lieu appelé La Colporteuse, qui est spécialisé dans l’écoconstruction. Les écoles sont libres et incitées à faire en fonction du territoire où elles sont installées, à travailler en partenariat étroit avec ce territoire et donc à proposer des formations sur des métiers qui y ont des débouchés.

Quel est l'équilibre entre la théorie et la pratique dans ces formations ?
C’est 100% pratique. Toute la pédagogie est basée sur le faire. Les encadrant.es techniques sont des professionnel.les la plupart du temps, voire tout le temps, et sont là pour travailler concrètement, sur des projets. Les élèves en formation qualifiante travaillent pour des clients. Tous les exercices à réaliser sont installés et vendus à la fin. Ils et elles font chaque année une cuisine, un aménagement et un certain nombre de meubles ou d'assemblages. Pour la pré-qualification, ils et elles font des stages chez des professionnel.les des différentes filières, selon les partenariats qu'on monte au fur et à mesure.
Les écoles Être sont vraiment des écosystèmes à partenariats : tout fonctionne à partir de partenariats extérieurs. Pour faire fonctionner une école Être, on n'a pas forcément besoin de locaux au départ ni d'un encadrement permanent. Ça peut se faire d'une façon très légère, avec des équipes qui tournent sur des lieux différents.

Le mot école est un peu trompeur, car il n’y a pas de salle de classe mais une orientation à 100% sur le faire. Ça nous paraît la seule façon viable de raccrocher des gens que le système scolaire n'a pas su capter. On ne leur rendrait pas service en les remettant dans un contexte scolaire.

Dans votre cas, qu'est-ce qui se fait à l'extérieur et qu'est-ce qui se fait sur place, à Bordanova ?
C'est très variable selon les années et les partenariats. Sur les dispositifs de remobilisation et de pré-qualification, il doit y avoir à peu près 30% du temps à l’extérieur. Les titres pro (formation qualifiante) sont plus présents sur le site mais ont quand même un stage d’au moins 3 semaines puis une phase d'installation de ce qu'ils et elles ont construit chez les clients.

Et les jeunes sont hébergé.es sur place ?
Non, pas du tout. On n'a pas d'hébergement et on a pas prévu d’en faire pour les élèves pour l'instant. On a un réseau d'hébergeur.euses qu’on est en train d’étoffer, avec des gens qui louent des chambres ou des petits logements dans les environs. Il y a aussi des colocs qui se montent d'année en année.
On a mis en place un système de transport parce que Lahage est isolé, il n'y a pas de transports, pas de magasins, c'est un village de 200 habitant.es. Tous les matins à 8h30, on va à la gare de Muret (à une demi-heure), chercher les élèves mais aussi des salarié.es, des bénévoles, des stagiaires. Ils et elles arrivent ici à 9h et repartent en bus à 17h.

Les temps de repas sont hyper importants. Notre cuisine est basée sur la récupération d'invendus d'épiceries bio - des bénévoles nous aident à récupérer et à trier, puis les repas sont faits par les personnes en insertion, encadrées par une cuisinière. Entre 30 et 40 repas sont servis chaque jour. On essaye de faire beaucoup de choses pour favoriser le travail en commun ou des événements collectifs. Une fois par trimestre, on a ce qu'on appelle un “Jean Michel No Watt Day”, une journée sans électricité où tout le monde travaille sur des chantiers communs. On a des temps de célébrations par rapport aux travaux qui sont réalisés par les stagiaires ou par les personnes en insertion : on va voir la réalisation, on a des explications sur ce qui a été réalisé, comment, pourquoi, sur ce qu'on en a appris, etc. Ça permet d'informer toutes les personnes de ce qu’il se passe sur le lieu - parce qu'il se passe beaucoup de choses. Et quand chacun.e est très occupé.e, on peut parfois avoir tendance à oublier de regarder ce qu’il se passe ailleurs. Il y a aussi quelques événements festifs, on a une guinguette un jeudi par mois de mars à novembre, qui réunit ceux et celles qui le veulent, c'est un événement public. On organise un festival, le Festival AgitaTerre, qui a lieu tous les ans en été. On propose aussi des visites publiques tous les 15 du mois à 15 heures. Le lieu est isolé et en même temps très visité et très actif.

Quelles sont les modalités de recrutement et combien de personnes participent aux formations ?
Les groupes sont de 8 à 10 personnes maximum. Dans les remobilisations, c'est plutôt entre 4 et 6. Ce sont les publics les plus difficiles à faire venir. La victoire, c'est quand ils reviennent, parce que c'est vraiment le début de la remobilisation. En pré-qualification, ce sont des groupes de 8. Et en titre pro, chez nous, ce sont des groupes de 10. Il y a une particularité sur le titre pro : en dehors des jeunes, qui sont notre cible principale, on accueille aussi 2 à 3 personnes en reconversion professionnelle. Il se trouve que la plupart sont jeunes, mais ça peut être des personnes de tout âge.
Le recrutement se fait via un réseau de prescripteurs. Le réseau de prescripteurs, c'est une mission locale, une structure d'éducation, la protection judiciaire de la jeunesse… Ce sont tous les réseaux qui tournent autour du décrochage scolaire qui nous adressent des jeunes. On a aussi des familles qui s'adressent directement à nous. Une fois qu'on a un certain nombre de candidat.es, on organise une journée d'information collective pour qu'on leur présente tout ce qu'on fait. Il y a ensuite des entretiens individuels, le critère que l’on recherche étant évidemment la motivation. Particulièrement sur la pré-qualification et la remobilisation, il n'y a pas besoin de prérequis, que ce soit au niveau scolaire ou autre. Dans les titres pro, il y a un petit peu plus de prérequis, sur les bases de calculs par exemple, mais qui sont surtout là pour permettre aux élèves de pouvoir suivre la formation sans trop de problèmes. Sachant que des bénévoles dispensent des cours de soutien sur des matières particulières quand il y a des difficultés, en maths notamment.

Peux-tu me parler plus en détail du projet FAIRE, qui concerne le chantier d’insertion ?
C’est un chantier d'insertion par l'activité économique (IAE), donc c'est très réglementé par la direction du travail. Il y a un.e conseiller.e en insertion professionnelle et des encadrant.es techniques qui sont des professionnel.les. Les personnes en insertion professionnelle peuvent venir de milieux et d'âges très différents. Il y a trois filières : la cuisine, le bâtiment et le bois. Ceux et celles qui sont en bâtiment font de la rénovation de type second œuvre, ceux et celles qui sont dans la filière bois font surtout du mobilier extérieur (tables de pique-nique, jardinières, bancs).
Ça s'appelle un chantier d'insertion, mais ce ne sont pas forcément des chantiers : le terme chantier peut prêter à confusion mais c'est juste un statut différent de l'entreprise d'insertion. Il y a l’obligation de travailler majoritairement pour l’employeur et pas pour des clients, contrairement à une entreprise d'insertion où tu es vraiment dans une entreprise et où les personnes en insertion travaillent pour des clients. Ils et elles travaillent pour l'association à 80% de leur temps et font des commandes pour l'extérieur le reste du temps, notamment pour la partie bois. En cuisine et en bâtiment, on fait très peu de prestations extérieures.
Le chantier d'insertion donne lieu à des contrats de quatre mois, renouvelables jusqu'à un maximum de deux ans. Le but est évidemment de retrouver un emploi.

Je me demandais s'il y avait des liens entre les encadrant.es techniques de certaines formations et les personnes qui ont leurs ateliers dans le tiers-lieu ?
Il y a des liens plus ou moins forts… On a aussi des structures qui émanent d'anciens élèves donc les liens se font très naturellement. Ça dépend vraiment des activités mais, d'une manière générale, on favorise au maximum les interactions entre les activités présentes sur le lieu et l'école. Ça fait partie de la vocation du lieu. On a trois mots clés sur le tiers lieu : coopération, mutualisation, hybridation.
Les gens qui viennent ici ont une motivation supplémentaire liée au fait d'être sur un lieu dédié à la transition écologique, à l'économie circulaire, de pouvoir rencontrer des gens d'horizons très différents et de mélanger joyeusement des personnes en activité professionnelle, des élèves, des encadrant.es, des bénévoles, des associations, des collectifs etc.

Quel est le modèle économique du lieu ? Tou.tes les usager.es paient un loyer ?
Ceux et celles qui ont une maturité économique paient un loyer. Les autres ont soit un loyer progressif par rapport à leur chiffre d'affaires, soit une forme de contribution équivalente à ce que serait le montant de leur loyer : ça peut être animer un atelier ou faire une prestation vidéo, par exemple. On cherche à avoir un équilibre entre les deux parce qu'on ne peut pas faire que du contributif. On a quand même toutes les charges, de fonctionnement et de rénovation, à nos frais. Donc on trouve un équilibre entre les gens qui paient un loyer et les gens qui font du contributif.
Concernant les charges de fonctionnement, je suis la seule personne employée dédiée au tiers-lieu et je ne travaille que trois jours par semaine. Il y a une autre personne, Zélia, qui a plusieurs fonctions, notamment en communication, et qui est maintenant co-facilitatrice et co-anime le lieu avec moi. Le tiers-lieu lui-même est financé par les loyers mais aussi par des subventions du département, de l’État et de fondations privées. On a donc un mélange de financement privé, d'autofinancement et de financement public. Aussi bien pour le fonctionnement que pour l'investissement en rénovation.

Est-ce qu’il y a aussi des chantiers participatifs ouverts à des bénévoles extérieurs ?
On n'a pas fait énormément de chantiers participatifs ouverts, puisque les chantiers sont souvent réalisés soit par les élèves, soit par les personnes en insertion, soit par un mélange des deux. Des bénévoles viennent mais sont rarement majoritaires, il y en a un ou deux à chaque fois et ils et elles servent souvent de formateurs. Récemment, Michaël Feneux, un spécialiste des zomes [une forme géométrique composée de losanges agencés en double spirale], est venu pendant une semaine animer un atelier pour les personnes en formation et en insertion. En échange, je crois qu'il y a eu des participations sur ses chantiers à lui, des échanges croisés de participation.

Pour continuer sur la question de la réhabilitation, comment vous choisissez ce que vous allez faire et quels matériaux vous mettez en œuvre jusque là ?
Pour l’instant, le bâtiment est rénové de façon assez organique, c'est-à-dire en fonction des disponibilités, des compétences, de l'argent et des opportunités. Il y a des choix qui se font en fonction des matériaux disponibles. Et d’autres émanent d’une envie : il y a eu la volonté de faire de l’isolation intérieure en chaux-chanvre dans le cadre d'un chantier de pré-qualification par exemple. Après, malheureusement il y a aussi des choix pragmatiques sur des choses qui doivent se faire rapidement… Pour résumer, on n'a pas encore banni le placoplatre.

On a un projet de rénovation énergétique (isolation, chauffage) qui est en train de se mettre en place, avec une subvention de la région. On a envie que ce soit une sorte de chantier-école, avec un mélange de professionnel.les, de personnes en insertion, d'élèves de l'école et éventuellement du chantier participatif. Il faudra synchroniser les différentes phases du chantier, et mettre en place un sourcing des matériaux, en sachant en plus qu'on veut travailler uniquement avec des matériaux biosourcés locaux ou en réemploi. On va probablement être accompagné.es pendant les 10 prochaines années par une structure qui s'appelle EcoZimut, un bureau d'études de Toulouse plutôt spécialisé en thermique et en éco-construction.

Est-ce que les aides et subventions que vous avez obtenues pour la rénovation sont contraignantes par rapport à vos choix de matériaux et aux formats de chantiers que vous envisagez ?
On a été lauréats d'un appel à projet de la région, NoWatt, qui visait à améliorer les pratiques de rénovation énergétique des bâtiments publics, ou qui ne sont pas à des particuliers. C’est un financement compliqué à mettre en œuvre - on avait d’ailleurs failli ne pas répondre à cet appel à projet parce qu’il correspond à une vision de chantier très structurée et codifiée. Alors que nous, on est dans des manières d’avancer qui sont un peu organiques, plus longues dans le temps. Donc typiquement, quand on a dit à la région que notre chantier allait durer 20 ans, ils ont répondu “ben non, il faut que ça dure 4 ans”. Mais ça durera 20 ans, parce qu'on ne pourra pas le faire en 4 ans de toute façon, et puis qu’on ne veut pas le faire en 4 ans. On a dit 20 ans, c'était un peu de la provocation, mais c'était pour dire qu’on fait un chantier au fil de l'eau, au fur et à mesure, même si on sait qu'il faut qu'il y ait une direction, un objectif, un minimum de définition. C’est aussi pour ça qu’on a fait appel à EcoZimut pour nous accompagner.
On ne peut pas faire autrement, on ne veut pas vider le lieu, le faire rénover, et puis s’y réinstaller, ça n'aurait strictement aucun sens. Donc on est dans une manière de faire qui ne rentre pas complètement dans les codifications habituelles des chantiers, ce qui constitue une difficulté pour certains financements.

C’est aussi ce qui fait aussi l'intérêt de ce que vous mettez en place, ce qui permet que le chantier soit intégré à la formation... Le processus compte plus que le résultat final, c’est aussi la revendication d’une vision écologique et sociale qui transparaît là.
Exactement. Le chantier, pour nous, ce n'est pas un objectif, c'est un support. C'est un support de formation, c'est un support d'insertion, c'est un support d'écologie... On pourrait même dire que c’est un prétexte dans un certain sens : ce n’est pas quelque chose qu’on cherche à finir vite pour en être enfin débarrassé.es et pouvoir faire autre chose - au contraire !