La base de vie
Faciliter l'installation avec la base de vie mobile de La Facto
La base de vie est un outil itinérant développé par l’association La Facto depuis 2018 et implanté depuis 2019 sur la Prairie des Murs à Pêches, à Montreuil (93). La ville de Montreuil, propriétaire de cette parcelle, a accordé à la Facto une convention d'occupation temporaire.
La base de vie comporte un conteneur cuisine, un conteneur atelier bricolage, un auvent et des systèmes basse technologie qui visent à la rendre autonome en énergie. Elle est destinée à être mobile et a été pensée dans le but de faciliter l'occupation et l’activation d'un terrain qui n’est pas forcément raccordé aux réseaux. Depuis qu'elle est installée sur la Prairie, la base de vie est utilisée pendant le festival des Murs à Pêches ainsi que pour des événements organisés par des associations du quartier et des activités mises en place par La Facto – des ateliers d'initiation au bricolage et à la construction de systèmes basse technologie, des chantiers participatifs, des assemblées d'usager·es et des après-midi conviviales. Durant l’hiver 2021-2022, Ariane, Simon et Alice se sont réuni·es pour échanger autour de la base de vie.
Perrine : Pouvez-vous me parler de la base de vie, de ses débuts à La Noue jusqu’à son installation actuelle sur la Prairie des Murs à Pêches ?
Ariane : On a répondu à l’appel à projet TempO’ avec trois associations [La Facto, le collectif 39 et le collectif de paysagistes Otto] en 2018, pour occuper un espace dans la cité de la Noue, à Montreuil. On avait un peu trop d’ambition, on voulait faire des ateliers, du bricolage, une cantine, créer un contexte convivial pour aller à la rencontre des habitants et faire de la concertation. La parcelle se situait dans une zone de rénovation urbaine, et l’intention était de voir avec les habitants comment proposer des idées pour le futur projet. On a fait des prototypes d’aménagements dans l’espace public, on a rédigé un bilan et des conclusions pour que les futurs aménageurs puissent prendre en compte notre analyse et nos expérimentations. Mais le cahier de préconisations s’est perdu dans les limbes bureaucratiques. J’ai eu l’impression de participer à la grande confusion des projets d’urbanisme. L’occupation n’a duré qu’un an car Est Ensemble (la communauté de communes) n’avait pas bien communiqué avec le propriétaire du terrain, le bailleur municipal. Il aurait fallu un contexte qui permette d’être plus longtemps là-bas, une réelle volonté de prendre en compte nos expérimentations, et une équipe beaucoup plus soudée. On a fini un peu fâchés et disséminés. En partant, j’avais l’impression d’abandonner le quartier.
Tout le monde était d’accord pour que La Facto récupère les deux conteneurs qu’on avait installés. Comme l’association était déjà implantée aux Murs à Pêches depuis cinq ans, on a pensé que ça pouvait servir là-bas. L’organisateur du festival des Murs à Pêches nous a proposé de les poser sur la Prairie. Moi je n’avais plus du tout l’énergie pour refaire un projet avec l’ambition et le bénévolat qu’il y avait à La Noue. Donc, dans un premier temps, on s’est focalisés sur l’amélioration de l’outil et sur l’autonomie en énergie du conteneur cantine, car on avait expérimenté le fait qu’il est impossible de commencer une occupation temporaire sur des terrains qui ne sont pas viabilisés.
Quelles activités sont développées avec la base de vie et comment se font les chantiers d'amélioration de cet outil, notamment la construction de systèmes basse technologie ?
Simon [Simon encadre les chantiers basse technologie de la base de vie] : J’ai rejoint La Facto pendant que la base de vie s’installait à La Noue. Ariane m’a proposé de faire des bacs de phytoépuration [système d’épuration des eaux grises avec des plantes, non relié au tout-à-l’égout], alors que ni moi ni elle n’en avions faits. Dès le début c’était : je sais pas faire mais je veux bien le faire. Je m’étais déjà intéressé à l’aquaponie, la plomberie ça me plaisait bien, des plans avaient été faits par un bureau d’études, mais la construction était quand même expérimentale, en réemploi. Depuis la Noue, on a continué sur le sujet des basses technologies en apprentissage autodidacte, tout en étant en même temps dans la transmission. C’est une manière de faire un peu nouvelle pour moi. Le résultat n’est pas toujours optimal quand on fait quelque chose d’expérimental, en apprenant par soi-même et en transmettant. Il faut réussir à se demander : est-ce qu’on s’arrête, est-ce qu’on recommence ? Procéder par étapes, ou commencer petit.
Ariane : L’objectif de l’association c’est un peu d’apprendre en faisant et de démocratiser cette pratique de l'autodidactie.
Alice [Alice encadre des ateliers de fabrication de petits objets sur la Prairie] : Que ce soit l’autofabrication ou l’autoconstruction, « auto » veut dire apprendre à utiliser des outils par soi-même ou avec des gens. On n’imagine pas tout ce qu’on peut faire, c’est important de rendre ça possible dans l’imagination déjà. Simon, tu disais ça aussi à propos du rocket stove [un poêle à bois à tirage optimisé] : une fois qu’on sait qu’on peut le faire, ça ouvre plein de perspectives. Souvent, on a l’impression qu’il faut qu’on reçoive un savoir académique avant d’être capable, on n’imagine pas être capable de construire une maison. Construire une lampe, ça peut déjà donner un peu de confiance. Je m’intéresse aux amateurs, aux gens qui sont très débutants, qui n’ont pas forcément les moyens d’apprendre par eux-mêmes, qui n’ont pas accès aux outils. J’aime bien l’idée d’éducation populaire, pour les femmes et les enfants en particulier. Je trouve intéressante l’idée de transmettre la capacité à apprendre tout seul, comme si on pouvait apprendre à quelqu’un à être autodidacte. Dans les ateliers, j’aimerais bien permettre aux gens de trouver leurs propres méthodes, tout en les aidant. Je fais des fiches pour les ateliers de fabrication d’objets, et c’est intéressant parce que ça me pose des questions : à qui je m’adresse, est-ce qu’on se concentre sur l’apprentissage du geste ou sur la fabrication d’un objet, est-ce que c’est une fiche qui vise à ce que les gens fassent vraiment tout seuls ? C’est comme une recette de cuisine. C’est de l’apprentissage pour moi aussi, sur la Prairie j’apprends à animer des ateliers tout en apprenant à bricoler.
Simon : Il y a un vrai lien à faire avec la culture du laboratoire, du hackerspace, du low-tech lab, du repair café… Dans ces lieux-là on s’ouvre, on essaie des choses, on initie de nouveaux projets à partir d’un lieu collectif. C’est vraiment l’idée d’un lieu collectif qui permet de se rencontrer, d’échanger sur comment faire, de faire ensemble. Un lieu habité, avec des outils partagés, des techniques transmises.
La Facto se retrouve dans des rôles multiples. Certaines activités, comme le bricolage et les systèmes basse technologie, ont un lien avec les activités de l’association, et d'autres moins, comme la communication avec des associations du quartier, la mise à disposition de l’espace, la structuration d’une gouvernance pour la gestion de ce commun qu’est la Prairie. Ce n’est pas évident qu’un même acteur prenne en charge tous ces aspects. Comment ces activités permettent-elles d’amorcer une dynamique sur cette parcelle ?
Ariane : Quand on arrive quelque part avec la base de vie, on regarde quels sont les besoins de l’espace que l’on occupe, et il en découle des problématiques sur lesquelles on doit travailler. On essaie d’amorcer un projet et une réflexion sur cet espace. On cherche à répondre aux besoins, sur des plans architecturaux et sur la mise en place d’une concertation pour réfléchir avec les intéressés. Mais ça prend du temps d’aller en profondeur sur des sujets quand rien n’est encore défini et, dans le cas présent, ce n'est pas évident d’enlever les conteneurs et de les rendre à nouveau mobiles. On préfère s’installer sur le long terme, ne pas rentrer dans le jeu du temporaire, et travailler un vrai projet politique.
Ça nous fait en effet dériver de nos cœurs de métier – est-ce qu’on devrait se consacrer à notre cœur de métier (la construction) et se concentrer sur l’amélioration de cet outil ? 90% de nos activités autour de la base de vie sont de l’ordre de l’activation, de l’animation. Mais ça reste aussi une zone d’expérimentation pour la construction. On veut arriver avec l’objet le plus simple possible pour pouvoir réfléchir ensemble à l’aménagement de la parcelle. Mais même si on est sur la construction la plus standard possible ça oriente les activités qui vont s’y dérouler. Le fait qu’il y ait un conteneur cuisine permet que ce soit un lieu de convivialité, mais ça développe aussi tout un programme autour de l'alimentation. Le conteneur cuisine est mis à disposition de plus en plus régulièrement, surtout pour des associations du quartier ou des Murs à Pêches, pour des activités avec des jeunes, pour des distributions alimentaires, pour des repas de chantier quand les murs sont rénovés, etc. La Fédération des Murs à Pêches [qui fédère les diverses associations qui y sont implantées] et certains habitants viennent aussi utiliser la Prairie sans que les conteneurs soient ouverts, pour faire un barbecue par exemple. L’atelier bricolage est plus difficile à mettre à disposition sans qu’on soit là. Les activités liées à la construction nécessitent un encadrement et de la présence. Ça vient avec une transformation de nos métiers, on est aussi animateurs.
Et quelles améliorations faudrait-il apporter à cet outil ?
Ariane : L’aménagement intérieur du conteneur cuisine et le bar coulissant marchent bien.
L’espace couvert est limité. Ça fait un espace de vie restreint, on manque parfois d’un espace de bureau. Si on pouvait délimiter un espace à moitié fermé et fabriquer des mobiliers chauffants, ça permettrait plus de confort. Il faudrait un auvent plus grand, avec une structure légère, en tubes de métal facilement démontables par exemple [l’actuel auvent est en bois]. Donc quelque chose de plus léger qui couvre une plus grande surface. Ou trois conteneurs, mais il en rentre deux sur un camion, et pas trois.
Et on n'est toujours pas arrivés au bout de nos recherches d’autonomie. Pouvoir s’installer sur n’importe quelle parcelle sans être reliés au réseau, c’est vraiment l’objectif de la base de vie, parce que quand tu arrives, tu es rarement raccordé. On y travaille. Sur la Prairie, on a pris le parti d’avoir un réseau d’eau de pluie et un réseau d’eau potable, je ne sais pas si on arrivera à avoir de l’eau de pluie potable.
Simon : On fait des expérimentations, on se rend compte que l’auvent pliable n’est jamais replié, qu’il est trop petit pour son poids et que sa bâche est abîmée. C’est aussi ça l’intérêt de ce conteneur, c’est d’expérimenter plein de choses, comme les chauffe-eau solaires, qui n’ont pas marché, ou la phytoépuration, qui pourrait être améliorée.
Tout est censé pouvoir être démonté et sanglé sur les conteneurs. Mais en effet, même si c’est possible, les moyens nécessaires pour les déplacer commencent à être plus importants. C’est de plus en plus lourd, ça a un coût, et ça pose en effet la question : est-ce que ça vaut le coup de déplacer la base de vie ? Si on décidait de vraiment déplacer le conteneur tous les deux ans, il faudrait en refaire un, apprendre de nos erreurs pour pouvoir proposer quelque chose de plus efficace, qui se déplace plus facilement. Ça demande encore de la recherche.
Ariane : La base de vie comme outil mobile et temporaire pourrait aussi bien fonctionner pour accompagner le démarrage de chantiers de collectifs déjà structurés, qui savent ce qu’ils veulent construire : que ce soit un outil pour des chantiers participatifs, pendant un à deux ans, et qu’on ne soit pas à l’initiative de l’occupation et de la commande. On pourrait aussi venir avec les conteneurs en phase d’esquisse, pour faciliter la réflexion avec les gens et le dessin sur place, puis se servir des conteneurs comme base de vie pendant le chantier. Les conteneurs seraient ensuite déplacés sur une autre opération.
Comment s’amorce la réflexion sur l’avenir de la Prairie des Murs à Pêches ?
Ariane : On a mis en place la rencontre des usager·es de la Prairie avec la Fédération. Elle a lieu tous les mois depuis début 2022. Le but de cette assemblée est à la fois de s’organiser collectivement pour la programmation du mois à venir, et de réfléchir à ce qu’il faut construire ou aménager pour les événements qui vont avoir lieu, jusqu’à se poser la question de ce qu’on veut à terme pour cet espace.
Il y a eu une rencontre des usager·es ce week-end, on a vu que les gens commençaient à s’attacher aux conteneurs et à vouloir les garder. Donc pour l’instant, on essaye déjà d’organiser les bases d’une gestion collective horizontale de cet espace commun, on verra ensuite si ça mène à un projet d’aménagement ou pas.